Mon écriture est née de l'ennui.
De ce délicieux ennui adolescent qui allongeait les soirées et les dimanches après-midis, à l’abri des écrans et des agressions sociales. J’avais 15 ans et je fermais la porte de ma chambre sur la lecture d’un, deux, parfois trois livres par jour. Ma fenêtre de toit m’emportait dans les nuages, mais m’évitait la distraction du paysage horizontal. Le ciel était le décor de toutes mes évasions. De la réalité même du monde, ne subsistait plus que le bruit de fond diffus de l’univers. Un extrait de "Dès l'Instant", très joliment lu par Jean-Louis Massot. Mardi. Nous faisons l'amour.
Pas parce que c'est mardi, c'est juste un éclair qui me traverse, comme ça, en même temps que l'orgasme : "tiens, nous sommes mardi". Nous sommes mardi et je n'ai pas encore fait les courses. Ceci étant la pensée complète de cela, en plus trivial, bien sûr. "Un mardi en mai", on sent tout de suite la marguerite matinale, la fleur de peau... Face à cet autre mardi, nettement plus obscène, deuxième jour de la semaine, n'en reste plus que trois, merde le pain. Le pain. À cette heure-ci, il n'y en aura plus. Si je n'y vais pas, on va devoir s'en passer, tu comprends, mon cœur ? Tandis que, l'amour... Et là, ton fils arrive chez toi. Un peu énervé, le fils, mais il a toujours besoin de quelques minutes pour atterrir, quand il revient de chez ...de là-bas, quoi. Tu sais qu'il va ouvrir les vannes, et, en tant que père, tu espères juste que tes propres bassins d'orage sont assez larges. Tu renforces tes digues pour contrer le flot qui monte, et tu espères répondre ce qu'il faut répondre. L'ado part en feux d'artifices, en embrasements, en indignations.
Et au milieu d'un cri qui lui tend la gorge, tu te rends soudain compte qu'il a en pendentif un cadran solaire portatif que tu avais ramené un jour de Carcassonne, qui t'a toujours rappelé qu'après tout, l'Homme est la mesure du Monde. Tu ne sais pas quand il te l'a subtilisé, mais il le porte. Il te porte. Bastien n'a pas été très sage.
En tous cas il l'admet dans sa lettre à Saint Nicolas, où plusieurs phrases commencent par "C'est vrai que". "C'est vrai qu'il y a eu la crise", par exemple. Il demande des cartes Pokémon, un jeu PS, enfin, des jeux de son âge, parce que "faute avouée est à moitié pardonnée" - ce sont ses mots, et il n'a que neuf ans. Et si vraiment ce n'est pas possible, il renonce à tout ça et demande juste que sa maman le croie. Pour la crise. Que c'était vrai. La Nuit porte deux valises.
Dans sa main gauche, la poignée de l’aurore, et dans la droite, la lanière des crépuscules. À taille, dans une bourse de cuir qu’un lacet délie, les aubes. J’en détaillerai certaines. Pascal Blondiau est un auteur rare. Distille de temps à autre un recueil ou un livre minuscule. Ses textes sont des bonbons faits maison, patiemment polis et agencés. Dans ces sept et courtes novelettes, Blondiau passe sous sa loupe un détail tout petit : la manière dont une effeuilleuse ramasse ses nippes après son show, la raison pour laquelle un petit s’appelle Toussa, la façon dont Adeline estropie le mot « vipère ». Chaque texte doit faire, à vue de nez, entre cent et cent cinquante mots. Deux cents à tout casser. Deux cents mots maximum pour de petites perles fichtrement bien troussées ! Aurait-on aimé en savoir plus ? Passer plus de temps auprès de cette humaine compagnie ? Ou bien Blondiau aurait-il pu nous donner plus de sept novelettes, écrire un plus fort volume où il nous aurait dressé le portrait de toute une foule de gens qui pourraient être nos voisins ? Pas sûr. Les novelettes sont des textes minuscules. Les faire proliférer ne nous aurait rien apporté. Le projet de Blondiau n’est pas d’être « exhaustif ». Il nous donne le goût. La saveur sucrée des choses et des êtres. Cela suffit à faire un livre parfait. Comme ces poupées miniatures, sud-américaines et colorées, qu’on range dans une toute petite boîte d’allumettes. Vincent Tholomé in "Le Carnet et les Instants", revue officielle de la Promotion des Lettres Belges de Langue Française, émanation de la FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles) Dans mon rêve, je répondais à un oiseau en sifflant. Quand je me suis réveillé, il était toujours là, quelque part derrière la fenêtre, toujours invisible, mais bien sonore. On en a profité pour se faire la finale de Hotel California en répons.
Ce ne fut pas si facile, ceci dit, car ce merle ne connaissait que La Danse des Canards. Et moi je n'ai jamais joué d'un autre instrument que le klaxophone. Je suis très pouet comme mec, quand j'y pense. Un tout petit recueil de toute petites nouvelles, des « novelettes » comme l’auteur les nomme, un véritable cadeau de Noël, de Noël « nouvelet ». Ce doux cantique de Noël pourrait justement s’appliquer à cet élixir de texte distillé à l’alambic des Carnets du dessert de lune :
« Quand je le vis, mon cœur fut réjoui, Car grand beauté resplendissait en lui, Comme au soleil qui luit au matinet. » Ces textes sont d’une grande virtuosité, avec quelques mots seulement l’auteur respecte les canons de la nouvelle : une histoire, une unité dans l’histoire, une chute… et propose un moment de vie que le lecteur n’a plus qu’à mettre en scène. Comment ne pas imaginer la vulgarité du spectacle offert par cette effeuilleuse toute en courbe qui «… à la fin de son numéro … ramasse ses nippes sans grâce, elle n’est plus qu’une immédiate lingère » ? Comment ne pas imaginer l’histoire de Toussa quand on sait les milliards de zaïres dans la main de sa mère ? Il y en a sept toutes aussi denses, un peu amères, l’auteur regarde ce qu’il ya de l’autre côté du miroir. Sept « novelettes » et un énigmatique « et quelque » qui pourrait-être ces deux bouts de texte placés aux deux extrémités du recueil. Celui qui clôt l’opuscule est révélateur de la pointe d’amertume qui assaisonne le recueil : « Je cherche A vivre en humaine compagnie En souffrant l’invisible handicap D’être moi aussi Humain ». Blondiau appartient bien à la gente des virtuoses du verbe qui exécutent leur numéro comme le gymnaste son acrobatie sur l’agrès. Denis Billamboz |
Pascal Blondiauest né en 1965. En textes très courts, l'oreille collée entre l'arbre et l'écorce, il tente de rendre la basse continue, l'ostinato sous la vie. Une novelette,c'est un jeu, une contrainte créative : une novelette c’est une histoire au format carte postale.
C’est un instant figé, une histoire saisie au millimètre, à la seconde - mais dont les aboutissements, la logique cruauté, l’absence de morale ou la poésie accompagnent le lecteur pendant des heures. Qu’il le veuille ou non. |