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DES  L'INSTANT

(2010)

Préface
par Sabine Wyckaert

Au fil de ces pages teintées d’une poésie douce-amère, Pascal Blondiau sème des images d’une puissance rare, pose des mots sur des instants fragiles, comme on saupoudrerait de sel la queue d’un oiseau magnifique, dans l’espoir qu'il s’attarde sur la branche.

Des textes profondément humains qui, comme autant de galets déposés au hasard, déplacés au gré du courant, entrent en résonance et poussent irrésistiblement le lecteur à s’interroger sur le sens de la vie et la course folle du temps, à savourer ces « détails » du quotidien et de l’intime qu'il ignore trop souvent.

Mais ce livre est aussi un manifeste, celui d’un auteur qui brouille avec aisance les frontières entre réalité et fiction, un auteur qui sait que ce sont aussi les petites choses qui font les grandes histoires et qu’il faut « revenir de quelque part » pour y entraîner le lecteur.

En refermant ce petit bijou de concision, on n’a qu’une envie : imiter Pascal Blondiau pour, enfin, prendre le temps de « sentir le monde suspendu ».

Et puis, rouvrir le livre, encore et encore.

L'imagination.

Photo
(Marie Campion)
Ce n'est pas une valeur-refuge

c'est un terreau
qu'on ensorcelle
qui sent l'âme
et la rhubarbe mouillée

.


Ces mots.

Photo
(Marie Campion - esquisse)
Ces mots que nous cherchons, cette histoire dont nous ignorons la fin, nous donnent plus d’émotion que toutes les issues inéluctables de nos vies sans scénarios. 

Nous n’écrivons pas pour vivre ; nous écrivons pour oublier que nous allons mourir. Nous n’écrivons pas pour donner ; nous écrivons pour prendre. Pour capter, dans les moindres replis de l’air, les bactéries dont nous ensemencerons nos cultures stériles, nos éprouvettes vides.

Nous écrivons pour crier, et éprouver par l’écho le vide qui nous entoure.

Que la voix porte, qu’elle ne porte pas, l’important est d’avoir parlé.
D’avoir un temps fait cohabiter l’agitation humaine et nos résignations intimes.





Bleu Jaune.

Il y a cette neige tombée, dont on dit qu'elle tient pour dire qu'elle reste. Et elle s'accroche, mais dans quel état ! De la boue congelée, retrouvée sous les roues des voitures, un peu de glace craquelante au bord des trottoirs, et des lames de verre pendues aux gouttières congestionnées. Quelque part dans l'air froid, Tino Rossi chante la mémoire des Noëls de son enfance.

Tout le monde essaye de les recréer, ceux-là, et pourtant personne n'en a jamais vécu de tels. On nous les a inventés, saupoudrés de sucre glace, de souhaits de paix et de bonheur, un rien indigestes.

Que le temps s'arrête quelques minutes, peu avant minuit, c'est tout ce que je souhaite.
Pour sentir le monde suspendu, avide, curieux. Pour en saisir une image exacte, hors de la durée plutôt que de hurler « joyeux noël » à la cantonade et perdre tout contact avec l'instant.

Psychiatrie Esthétique.

« On m'a opéré l'âme », dit-elle en souriant.

Elle regarde les pommettes pointues de Jeanne, les seins un peu hauts de Sharon, sans oublier les lèvres récemment décousues de Bartholomée, et elle dit :

On m'a opéré l'âme. Oh, ça devenait insupportable. À partir d'un certain âge, tu sais, rien n'est plus comme avant, cette chose n'a plus aucune tenue... Faut pas se laisser aller. »


Celles-là.

Je les embrasse de ma barbe mal faite et elles ne sentent rien - je leur souffle dans l’oreille et elles ne sursautent pas. Elles o­nt le regard perdu des anges auxquels o­n aurait coupé les mains. Esclaves muettes, exutoires de mes jouissances, elles me fournissent un orgasme plaintif, une larme de sperme au coin de la lèvre. Leurs odeurs sont les miennes, sans plus. De jour en jour, les restes de ma semence fécondent d’autres chagrins, terriblement miens.

Immédiant.

Vers le milieu de l'album, il y a un très court instrumental un peu gratuit.

Au début du morceau, un pianiste puéril cherche la naissance d'un rythme sur les touches noires. Puis une ambulance passe entre deux touches blanches.
Les deux tentatives se rejoignent au bout de quelques secondes, visiblement décidées à ne pas se fréquenter.

La dernière note est juste un écho aigu.

Unenthüllte

« Dans mon roman, il y aurait des gens qui mangent et qui dorment à des heures normales, des gens incapables de parcourir trois cents kilomètres à pied d’une traite simplement pour faire avancer l’histoire, des gens qui auraient des petits bobos et des joies minimes. »

Voici un petit recueil de textes entre la prose et la poésie. Les textes de Pascal Blondiau, magnifiquement illustrés par Marie Campion, sont des instantanés, des ambiances ponctuelles, des sensations brèves. Le style est clair, simple et direct. Chacun de ces moments incite à la contemplation tranquille, à la réflexion.

En collaboration avec l’auteur, Unenthüllte a développé cinq morceaux inspirés de ces textes. L’album est disponible à l’écoute et au téléchargement ici.

Unenthüllte -
Unenthüllte sur Jamendo

Le Retour du Scarabée.

Photo
(Marie Campion)
Sous un rayon de soleil rose, un platane usagé distribue l'ombre sur le jardin d'enfants. Il fait petit comme dans une garderie  assis pour lire, je mange mes genoux. Page 108, je découvre qui est le meurtrier, pendant que ma Théa fait le tour du monde sur place dans un manège métallique qui a mon âge.

Page 109, je trouve un insecte sous la langue de la victime. «Regarde papa, dit Théa en avançant ses mains fermées vers moi, je crois que celui-ci est encore vivant.»


Photo
(Marie Campion)

Le soir me nargue.

Délicatement posé sur les voies du retour,
suspendu aux photophores
et bousculé parfois par les trains de pointe,
le soir me nargue derrière sa vitre.

Sans raison, je crois.

Je crois.




Photo

Philippe Leuckx, dans la revue "Bleu d'Encre", juin 2011 :

Les poèmes de Pascal et les illustrations de Marie créent un univers à mi-distance de l'enfance revisitée et des jeux de langage. Où nous trouvons-nous?, semble questionner le lecteur, pris dans les rets des petites histoires d'un surréalisme certain. Quoique le poète sache aussi « crier » et écrire sous l'image et la métaphore les incertitudes de son être... Il féconde des « chagrins », il est sensible aux « pointes » de l'hiver et du temps qui passe. Un rien lunaire, l'auteur sait mener les mots là où son troupeau de rêves et de manigances l'attend : « on m'a opéré l'âme » semble dire le poète, aussi étrange qu'étranger aux lieux communs. Il trace sa voie poétique, bien arrimé à son univers tissé de fables légèrement morales comme toutes les leçons de vie.

Ce « chercheur » de mots sait aussi dégotter nos plus belles ruses et nous enfouir dans son terreau de rêves familiers. Où ira-t-il la prochaine fois? Nous l'ignorons. Mais ce disciple d'André Hardellet a de bonnes
lectures et ce qu'il défrichera, à coup sûr, pourra nous séduire.

Ils prétendent

qu'une fois la pointeuse passée
après le sourire amical au portier
ou au gardien de nuit
ou au vigile armé d'un chien,
ils prétendent qu'ils entrent en vie
privée.

Et prennent le train.

Sous une légère couche de glace

que l'hiver a oubliée là en partant 
(à moins qu'il ne l'ait fait exprès), 
il y a une fumée fossile qui décante,
une bulle d'air pur,
et ton sourire qui dépasse.


Photo
(Marie Campion - esquisse)

Un réverbère dans la brume

peut-il résumer une pensée ?

Peut-il les résumer toutes ?

Que partage-t-il avec son reflet dans l'eau ?

Deux idées justes par jour, 
comme une horloge arrêtée ?


Manifeste.

Nous voulons des textes simples,
spontanés à force de travail,
fluides comme des avalanches,
aussi graves que des aurores,
obscènes et tendres.

Nous voulons des fictions vécues,
d'improbables biographies,
des vies de fous,

des secrets hurlés
et des auteurs qui s'oublient

.Nous voulons de l'audace et du déjà-vécu ;
des jungles urbaines et de mornes plaines.

Nous voulons des attentes avortées
et des sommeils haletants.

Nous voulons revenir de quelque part.
Nous voulons revenir de quelque part.

    Me contacter...

    En réalité, ceci a peu d'importance. Ne répondez pas si vous doutez ;-)
    Sous quel nom ou psuedonyme puis-je m'adresser à vous ?
    Allongez-vous, prenez une bière ou un café, et discutons quelque peu, voulez-vous ?
Soumettre

...mais pourquoi donc ? 

À ce point de la lecture, sans doute appréciez-vous l'un ou l'autre de mes textes, les superbes illustrations de Marie Campion, les délicates interventions sonores de Unenthüllte, voire même l'alchimie discrète qui émane de l'ensemble.

Vous avez peut-être envie de me le faire savoir ? Moi je sais que j'aimerais avoir votre avis...

...une deuxième raison ?

J'écris très peu, mais je lis beaucoup. Au fil des années, j'ai développé un certain "nez". Je détecte très vite le potentiel d'un texte ou d'un auteur. 

Certaines maisons d'édition belges ont suffisamment confiance en mon avis pour m'intégrer dans leur comité de lecture, et je relis fréquemment des épreuves d'auteurs confirmés. 

Si vous avez un texte à me faire lire, contactez-moi ici ou  rendez-vous sur "Efface-Encre", mon site de conseil et de services... Et si vous avez bien lu le manifeste qui se trouve juste ci-dessus, vous savez déjà ce qui me plaira.

Humeur bénigne.

Photo
Un monde entier glisse aux alentours. Silencieusement, sur un lit de pluie que l’asphalte a rendue grasse, des pans de réalité ont des envies d’horizon, et il faut toute la force de mes mains en visière pour les empêcher de suivre leur ligne de fuite. Détail incongru dans ce paysage de tringles et de cimaises dont un régisseur invisible manipule les poulies et les cordages, un parapluie, ouvert, immobile, à hauteur d’arbre, insensible au mouvement.

A la fenêtre d’un immeuble à appartements, un canari retraité, coiffé comme un moine, l’a vu, lui aussi.

Lieu commun.

La plaque ronde dans le trottoir cache un trou. Une fois par an, le sapin communal y trouve ancrage. La quinconce tracée au sol accueille d'obliques véhicules en semaine. Le jeudi, les maraîchers occupent le sol d'une logique transversale et peu définie. La boîte électrique que tu vois là, c'est pour les forains.  

C'est juste un lieu de passage où certains laissent leur marque au sol. Dans quelques semaines, une brocante y trouvera sa place - à la craie, probablement.


Dans mon roman,

il y aurait des gens qui mangent et qui dorment à des heures normales, des gens incapables de parcourir trois cents kilomètres à pied d'une traite simplement pour faire avancer l'histoire, des gens qui auraient des petits bobos et des joies minimes.

Comme quand je reçois ton bisou de chocolat devant la porte de l'école et que tu me souhaites une bonne journée.
Photo
(Marie Campion - esquisse)

Caténaires

Il est interdit de lever des objets de grandes dimensions sur les voies émotionnelles. Tout contact avec un souvenir diffus, une impression aérienne ou même la tendresse d’une étoffe, aura des conséquences.

Il est également interdit de toucher d’anciens amants, même et surtout tombés au sol.

Tailler un costume
ou
la
route.

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(Marie Campion)
Malgré la pression constante, je persiste à me présenter au travail en jeans et bottines de marche. J’admets qu'il m’est arrivé de me pointer en cravate; c’était pour faire glousser les pingouins, et ça n’a pas manqué.

Passe encore pour le jeans, qui n’est après tout que l’autre uniforme; les questions des collègues portent surtout sur l’utilité de mes semelles crantées dans le blanc silence des couloirs.

Que savent-ils de mes virées subtiles, de ces moments que la pointeuse n’enregistre pas, où je pousse l’ascenseur jusqu'au trente-troisième étage d’un immeuble qui n’en compte pourtant que vingt ? Quelle part donneraient ils de leur budget blanchisserie pour atteindre aux jardins colorés du dessert de lune, plutôt que de se contenter de la dernière meringue blême à la cantine ?

Le respect de soi est une discipline exigeante, et j’en témoignerai si l’on m’en demande avis…


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Une idée du travail de Marie Campion
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(Marie campion - esquisses)

Lapin d'appartement.

L'horizon s'affaisse.

Une forêt de grues a poussé là, perforant le matin de mâts inattendus. Au fond du trou carré dans lequel on enfichera une barrette d'immeubles, affleure une mer intérieure pas plus épaisse que ma main, parsemée d'étranges coquillages de rouille.

Au bord du gouffre, un lapin échappé joue avec son vertige. 

La pluie et le pélerin.



Il reste, cachées dans les plis de mon manteau, quelques gouttes de l'averse d'hier. Je pense les garder au chaud encore quelques jours. Quand elles seront habituées à ma présence, je leur ferai une place dans le tiroir de ma petite collection, à côté du sable de Vénus.


Socrate.

On n’aime que ce que l’on connait, on ne connait que ce que l’on aime.

Les choses que l’on ignore ne nous manquent pas, mais il nous serait aussi insupportable de les voir définitivement inaccessibles.

Je suis sûr que, quand Socrate me dit “admettre qu’on ne sait pas est une preuve de sagesse”, il ne m’autorise pas pour autant à arrêter de chercher.

Socrate, c’est mon chien.

Ma réponse.

Il y a longtemps déjà,
tu me demandais mon avis sur

les anophèles,
les emphysèmes,
les opisthodomes,
le business plan,
la knowledge matrix,
le bypass ratio,
et ma réalisation concrète.

J'ai peur de devoir réserver ma réponse. 
Photo
(Marie Campion)

En guise d'envoi...

Décoche ta flèche

Décoche ta flèche, courageux toa,
Mais qu’elle ne tue personne,
qu’elle ne blesse personne.
Décoche ta flèche, brave chasseur,
Mais qu’elle ne blesse pas l’animal,
ne perce pas l’arbre, ne déchire pas la feuille.
Décoche ta flèche vers l’étoile lointaine,
qu’elle éclate en mille escarboucles,
qu’elle illumine la voie à tous ceux
qui errent cette nuit.
Qu’elle apporte un moment de beauté
dans la nuit de ceux qui sont tristes.

Tibor Sekelj
Traduit de l’esperanto
par Pascal Blondiau

Elpafu la sagon

Elpafu la sagon kuraĝa toao
sed tiel ke ĝi neniun mortigu,
neniun ĝi vundu.
Elpafu la sagon brava ĉasisto
sed ke ĝi ne vundu beston,
ne traboru arbon, ne deŝiru folion.
Elpafu la sagon direkten al fora stelo,
ke ĝi disŝutiĝu en mil fajrerojn,
ke ĝi lumigu la vojon al ĉiu
kiu vagas ĉi nokte.
Ke ĝi alportu momenton de belo
en la nokton de tiuj kiuj malgajas.

Tibor Sekelj
1912-1988

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