Nohôst
Prologue
L’homme escalade la vallée en respirant à pleins poumons l’air du crépuscule d’Arguillon. Ses yeux bleus tournés vers le couchant reflètent l’apaisement, la sérénité que certains hommes atteignent dans la solitude totale. Et Arguillon, planète des steppes, des vallées, et des vents, est propice aux solitudes immenses des Rêveurs.
Il se dirige au vent, au souffle d’air qui parcourt la vallée et en ourle le sommet. “Là-haut”, pense-t-il. La carte holographique indique une cuvette derrière la colline, une ancienne carrière d’où, disait-on, les Arguillonides avaient extrait la richesse de la planète. Pas du fer, du charbon, ou de l’uranium, mais cette variété locale d’émeraude appelée Valhenn, un cristal vert de toute pureté, même à l’état naturel. Mais bien sûr, il y a bien longtemps que les pierres précieuses n’intéressent plus personne. Plus personne ? L’homme grimace. Bien sûr, il ne cherche pas la richesse; mais on n’abandonne pas ainsi tant de beauté. Il imagine la carrière, derrière la colline, il espère pouvoir encore rassembler un ou deux éclats de cette beauté perdue. Il n’y a que les solitaires pour faire cela, bien sûr. “Et il n’y a que les solitaires pour s’amuser à se faire mal aux épaules avec des sacs si mal conçus !” dit-il tout haut dans une grimace.
Cent mètres plus haut et treize minutes plus tard, il déposait son sac au sommet de la colline. La végétation était rase tout à l’entour, et sa vue s’étendait parfaitement sur des dizaines de kilomètres.
Arguillon est une planète plus grande que la Terre, et les terriens natifs y souffrent parfois de leur propre poids - ou de celui de leur sac - mais la courbure de la planète est également moins prononcée, en d’autres mots : l’horizon se trouve plus loin. Et cet horizon lointain donne des paysages d’une profondeur unique, dont les images et les simulations s’arrachent aux quatre coins de la galaxie.
Il faut dire qu’après les militaires et les scientifiques (et on peut être les deux), ce sont les Rêveurs qui ont envahi la planète, et pas un peu. Au contraire de leurs prédécesseurs, qui ont construit des villes parfaites, délimitées comme des jardins, des villes sans banlieue, les Rêveurs sont venus avec leurs tentes, leurs sacs, un esprit de nomadisme et une soif du danger. Les villes appartiennent aux gens organisés ; les campagnes et leurs “cabanes typiques” sont la propriété des Rêveurs, et des Arguillonides natifs - ceux qui ont accepté d’être colonisés. Ça c’est fait ainsi, pas trop par hasard, sur trois cents ans; au gré des aventuriers qui ont débarqué ici et pas ailleurs, peut-être parce que le rêve y est plus spacieux. Bien sûr, les militaires sont restés. Certains ont même eu des enfants.
Fils de militaire et Rêveur d’adoption, avec son brin d’herbe entre les dents, Vinyle Opium dégaine ses jumelles. Il siffle entre ses dents. De son regard décuplé, il balaye les versants de la carrière. On l’avait prévenu : une vue à vous couper le souffle. Et, effectivement, c’est beau, beau à donner le vertige. Son pied droit glisse lentement. Il pense qu’il perd simplement l’équilibre, il secoue un peu la jambe pour se remettre d’aplomb, comme ça, sans regarder. . . Mais son pied ne bouge plus. De surprise, il avale le bout d’herbe qui garnissait le bord de ses lèvres. Et, les yeux démesurés par la peur, il laisse tomber ses jumelles. Il n’y a pas de sables mouvants sur les collines, pense-t-il trop tard. Il n’est pas dans les sables mouvants. La terre, tout autour de lui, a viré à un jaunâtre poisseux et, après lui avoir longtemps léché les semelles, vient de lui saisir les jambes jusqu’aux genoux. Jusqu’à la taille. Jusqu’au torse. Il disparaît en quatre longues secondes, dans un bruit d’eau solide, les cordes vocales noyées dans la boue, griffant de tous ses ongles le boyau qui l’engloutit. Le plus horrible, c’est de voir venir toute cette souffrance, en un bloc concentré. Le plus horrible, c’est, en dernière intuition, de savoir que l’on y survivra.
Quelque part au Sud, un Skiz prend son envol dans un petit cri.
L’homme escalade la vallée en respirant à pleins poumons l’air du crépuscule d’Arguillon. Ses yeux bleus tournés vers le couchant reflètent l’apaisement, la sérénité que certains hommes atteignent dans la solitude totale. Et Arguillon, planète des steppes, des vallées, et des vents, est propice aux solitudes immenses des Rêveurs.
Il se dirige au vent, au souffle d’air qui parcourt la vallée et en ourle le sommet. “Là-haut”, pense-t-il. La carte holographique indique une cuvette derrière la colline, une ancienne carrière d’où, disait-on, les Arguillonides avaient extrait la richesse de la planète. Pas du fer, du charbon, ou de l’uranium, mais cette variété locale d’émeraude appelée Valhenn, un cristal vert de toute pureté, même à l’état naturel. Mais bien sûr, il y a bien longtemps que les pierres précieuses n’intéressent plus personne. Plus personne ? L’homme grimace. Bien sûr, il ne cherche pas la richesse; mais on n’abandonne pas ainsi tant de beauté. Il imagine la carrière, derrière la colline, il espère pouvoir encore rassembler un ou deux éclats de cette beauté perdue. Il n’y a que les solitaires pour faire cela, bien sûr. “Et il n’y a que les solitaires pour s’amuser à se faire mal aux épaules avec des sacs si mal conçus !” dit-il tout haut dans une grimace.
Cent mètres plus haut et treize minutes plus tard, il déposait son sac au sommet de la colline. La végétation était rase tout à l’entour, et sa vue s’étendait parfaitement sur des dizaines de kilomètres.
Arguillon est une planète plus grande que la Terre, et les terriens natifs y souffrent parfois de leur propre poids - ou de celui de leur sac - mais la courbure de la planète est également moins prononcée, en d’autres mots : l’horizon se trouve plus loin. Et cet horizon lointain donne des paysages d’une profondeur unique, dont les images et les simulations s’arrachent aux quatre coins de la galaxie.
Il faut dire qu’après les militaires et les scientifiques (et on peut être les deux), ce sont les Rêveurs qui ont envahi la planète, et pas un peu. Au contraire de leurs prédécesseurs, qui ont construit des villes parfaites, délimitées comme des jardins, des villes sans banlieue, les Rêveurs sont venus avec leurs tentes, leurs sacs, un esprit de nomadisme et une soif du danger. Les villes appartiennent aux gens organisés ; les campagnes et leurs “cabanes typiques” sont la propriété des Rêveurs, et des Arguillonides natifs - ceux qui ont accepté d’être colonisés. Ça c’est fait ainsi, pas trop par hasard, sur trois cents ans; au gré des aventuriers qui ont débarqué ici et pas ailleurs, peut-être parce que le rêve y est plus spacieux. Bien sûr, les militaires sont restés. Certains ont même eu des enfants.
Fils de militaire et Rêveur d’adoption, avec son brin d’herbe entre les dents, Vinyle Opium dégaine ses jumelles. Il siffle entre ses dents. De son regard décuplé, il balaye les versants de la carrière. On l’avait prévenu : une vue à vous couper le souffle. Et, effectivement, c’est beau, beau à donner le vertige. Son pied droit glisse lentement. Il pense qu’il perd simplement l’équilibre, il secoue un peu la jambe pour se remettre d’aplomb, comme ça, sans regarder. . . Mais son pied ne bouge plus. De surprise, il avale le bout d’herbe qui garnissait le bord de ses lèvres. Et, les yeux démesurés par la peur, il laisse tomber ses jumelles. Il n’y a pas de sables mouvants sur les collines, pense-t-il trop tard. Il n’est pas dans les sables mouvants. La terre, tout autour de lui, a viré à un jaunâtre poisseux et, après lui avoir longtemps léché les semelles, vient de lui saisir les jambes jusqu’aux genoux. Jusqu’à la taille. Jusqu’au torse. Il disparaît en quatre longues secondes, dans un bruit d’eau solide, les cordes vocales noyées dans la boue, griffant de tous ses ongles le boyau qui l’engloutit. Le plus horrible, c’est de voir venir toute cette souffrance, en un bloc concentré. Le plus horrible, c’est, en dernière intuition, de savoir que l’on y survivra.
Quelque part au Sud, un Skiz prend son envol dans un petit cri.