Novelettes
  • Novelettes
  • Des l'Instant
  • Sept Novelettes
Je suis

Pascal
​Blondiau

écrivain, lecteur, relecteur, et éditeur. 

La bobinette cherra. 

26/2/2014

0 Commentaires

 
Photo
La porte ? On y a renoncé, à la porte. Les trois marches de béton, à front de trottoir, mènent à un mur aveugle. Car oui, de ce côté-là de la maison, il n'y a pas de fenêtres non plus. Pas plus que sur les façades Est et Ouest, d'ailleurs. La seule entrée praticable se trouve côté jardin, il faut juste le savoir. Ceci dit, les visiteurs ne se bousculent pas, les invités sont rares. Ceux qui viennent ici arrivent sans plaisir et repartent soulagés. C'est une maison dilatoire, un cube de crépi ocre surmonté d'une pyramide de tuiles noires. Seuls ceux qui repèrent la sente à droite, qui longent les buissons d'aubépine (étonnamment bien taillés), arrivent à la terrasse. Il leur faut alors de l'imagination et de bons yeux pour apercevoir, dans la pénombre d'une marquise mangée de vigne vierge, la fine chaîne rouillée d'une sonnette. Quelqu'un arrive. 

En fait d'arrivée, il faut plutôt parler d'apparition. Soudain, sans que rien ne l'annonce, sans le moindre bruit de charnière ou de serrure, Monsieur est devant vous. Ou Madame, ou un domestique, ou le jardinier aux mains éraflées. Pas d'enfants, bien sûr, juste des traces éparses de leur séjour, à une certaine époque, il y a longtemps, ici et là dans la jardin - la corde à noeuds, pourrie, suspendue au cerisier ou le toboggan rouillé en plein soleil, qui ne répondent plus à aucune norme de sécurité.

Vous êtes un simple facteur, ou un policier, ou un huissier de justice - un employé administratif, en somme. Personne d'autre ne vient, personne d'autre ne se frotte aux aubépines. Monsieur apparaît, donc, ou Madame, ou un domestique, ou le jardinier, ou le cuisinier, ou un autre habitant de la maison, vous présentez le recommandé, vous constatez la composition de famille, vous menacez pour une facture impayée, c'est tout.

Aux dernières nouvelles, les registres de la municipalité recensent cent vingt six habitants à cette adresse, pour un village qui ne compte pas plus de mille âmes. Leur présence effective dans ce qu'ils déclarent comme domicile a chaque fois été dûment constatée - sur la terrasse, bien sûr. Malgré ce chiffre aberrant, aucune autorité sanitaire n'a jamais été envoyée sur place - il faut dire que les voisins n'ont pas matière à se plaindre du bruit ou de l'odeur. Des enquêtes de voisinage ont bien été diligentées, autrefois. Généralement classées avant même d'être bouclées, elles ne rencontraient pas les préoccupations de la municipalité, qui trouve intérêt à percevoir les impôts de cent vingt et quelques administrés inattendus. Dans les registres nationaux, la maison sans porte est recensée parfois comme un home, parfois comme un monastère, ce qui la rend invisible à peu de frais.

Il arrive que des inconnus à l'apparence de voyageurs de commerce se présentent sur la terrasse, et tirent la chevillette. Monsieur, ou Madame, leur souhaite alors la bienvenue chez eux, et je suis sûr que l'accueil qui leur est fait est chaleureux. Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander de quoi cette maison est la porte.

0 Commentaires

Votre commentaire sera affiché après son approbation.


Laisser une réponse.

    Pascal Blondiau

    est né en 1965. En textes très courts, l'oreille collée entre l'arbre et l'écorce, il tente de rendre la basse continue, l'ostinato sous la vie.

    Une novelette,

    c'est un jeu, une contrainte créative : une novelette c’est une histoire au format carte postale. 

    C’est un instant figé, une histoire saisie au millimètre, à la seconde - mais dont les aboutissements, la logique cruauté, l’absence de morale ou la poésie accompagnent le lecteur pendant des heures. 

    Qu’il le veuille ou non.

    Flux RSS

Powered by Create your own unique website with customizable templates.
  • Novelettes
  • Des l'Instant
  • Sept Novelettes