Elle était là, dans le fond de la cour – reconnaissable entre mille. Résistant difficilement à la rouille et aux mauvaises herbes.
Le gars est sorti de son atelier, en s’essuyant les mains d’un geste de garagiste fatigué, qu’il avait probablement appris dans un film ou une série américaine. (Curieux, comme un geste vous plante une profession.) – Si vous reconnaissez cet engin, vous savez aussi à quoi il sert », siffla-t-il. Je ne pouvais que le savoir. Je ne savais que ça. Une M-15 à double impulsion, une bécane mythique, prête à vous emmener n’importe où dans le passé ou dans l’avenir, un engin de légende. Que faisait-elle là ? – Je peux vous la vendre, dit le pseudo-garagiste, mais ne vous attendez pas à des miracles… » – Ah non ? » – Elle a un peu trop roulé sa bosse, disons. Elle ne vous emmènera pas plus loin que cinq ans… » – Vous en êtes sûr ? » – Oh oui, j’en suis sûr. C’est vous qui me l’avez refilée il y a cinq ans, après l’essai que vous vous apprêtez à faire, là maintenant. »
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J'annonce, je professe, je proteste.
Je suis des triomphes autant que des funérailles, des naissances autant que des hommages . Quand de nos vies il reste - il ne reste - que trois ou quatre cent pages, j'ai le coeur hurlant. Je les ai vécues, ces pages-là - vécues - et maintenant vous les lisez au coin du feu J'ai presque cru
que j'allais finalement t'attendre là où la laine s'accroche aux barbelés aux lisières de la nuit absente tout autre rendez-vous que tu m'aurais donné au passage d'un nuage qui retrousse ses jupes Vague horizon vague voyage J'ai presque cru que j'allais finalement t'attendre mais les autres se sont retournés nous avons regardé de l'avant les yeux sous la capuche Vent de face Il n'y a pas d'oeil intelligent
(tu disais ça papa) la réalité est juste un puzzle (j'avais six ans) c'est ton cerveau qui mixe Tu ne verras pas ce qu'il ne veut pas (tu disais ça aussi papa) même si c'est là tout près même si c'est maman. Ils font passer la poussière
dans de grandes turbines sans digestion et les marteaux-piqueurs ont toujours faim Je suis revenu d’Ostende, et je n’ai pas pris de notes. En réalité, je suis incapable de saisir ainsi des portraits et des ambiances - je prétends juste au brouillon et à la photo familiale, forcément mal cadrée. Observer. Rassembler. Décrire. Christiane Levêque prend-elle des notes ? Flâneuse et glaneuse, celle qui avait déjà croqué « le Mokafé » si élégamment compose ici pour nous de petits tableaux cubistes qui viennent d'en-deçà du regard. Avec la même matière que nous avions sous les yeux, et que nous avons négligée. Comme nous négligeons les coquillages imparfaits dont d’autres font des bijoux. L’inconnu que nous avons croisé cet hiver sur la digue, accent marqué, bonnet de guingois, il est là. Je l’avais vu et oublié. L’enfant de l’été, attendrissant et insupportable, qui a reçu une plage entière de sable dans l’œil et réclamera consolation, il est là. Le petit couple tactile qui partage une tasse de café, il est là. Et l’ami disparu, de quelque saison qu’il fût, qui passe ses doigts de vent dans nos cheveux, il est là aussi. Tout ce que nous avons vu et déjà oublié est dans ces pages. Sans romantisme, sans nostalgie, sans interprétation. Entre deux laisses de mer, Christiane Levêque murmure une gymnopédie inspirée, qui semble s'épuiser au bout de l’estacade, mais qu’une malle en partance reprend, en attendant de rattraper un petit carton bleu signé Flore. ![]() Ostende. Christiane Levêque & Garène. Genre : proses. Illustrations de Garène. Préface de Pascal Blondiau. Collection Pleine Lune. Format 14 cm x 16 cm. 70 pages imprimées sur papier bouffant 90 gr et Gmund Kaschmir coton blanc 250 gr. ISBN 978-2-930607-10.8. 10 €. Parution février/mars 2015 Pour commander, il suffit d'envoyer 10 € via Paypal à l'éditeur.
![]() La porte ? On y a renoncé, à la porte. Les trois marches de béton, à front de trottoir, mènent à un mur aveugle. Car oui, de ce côté-là de la maison, il n'y a pas de fenêtres non plus. Pas plus que sur les façades Est et Ouest, d'ailleurs. La seule entrée praticable se trouve côté jardin, il faut juste le savoir. Ceci dit, les visiteurs ne se bousculent pas, les invités sont rares. Ceux qui viennent ici arrivent sans plaisir et repartent soulagés. C'est une maison dilatoire, un cube de crépi ocre surmonté d'une pyramide de tuiles noires. Seuls ceux qui repèrent la sente à droite, qui longent les buissons d'aubépine (étonnamment bien taillés), arrivent à la terrasse. Il leur faut alors de l'imagination et de bons yeux pour apercevoir, dans la pénombre d'une marquise mangée de vigne vierge, la fine chaîne rouillée d'une sonnette. Quelqu'un arrive. En fait d'arrivée, il faut plutôt parler d'apparition. Soudain, sans que rien ne l'annonce, sans le moindre bruit de charnière ou de serrure, Monsieur est devant vous. Ou Madame, ou un domestique, ou le jardinier aux mains éraflées. Pas d'enfants, bien sûr, juste des traces éparses de leur séjour, à une certaine époque, il y a longtemps, ici et là dans la jardin - la corde à noeuds, pourrie, suspendue au cerisier ou le toboggan rouillé en plein soleil, qui ne répondent plus à aucune norme de sécurité. Vous êtes un simple facteur, ou un policier, ou un huissier de justice - un employé administratif, en somme. Personne d'autre ne vient, personne d'autre ne se frotte aux aubépines. Monsieur apparaît, donc, ou Madame, ou un domestique, ou le jardinier, ou le cuisinier, ou un autre habitant de la maison, vous présentez le recommandé, vous constatez la composition de famille, vous menacez pour une facture impayée, c'est tout. Aux dernières nouvelles, les registres de la municipalité recensent cent vingt six habitants à cette adresse, pour un village qui ne compte pas plus de mille âmes. Leur présence effective dans ce qu'ils déclarent comme domicile a chaque fois été dûment constatée - sur la terrasse, bien sûr. Malgré ce chiffre aberrant, aucune autorité sanitaire n'a jamais été envoyée sur place - il faut dire que les voisins n'ont pas matière à se plaindre du bruit ou de l'odeur. Des enquêtes de voisinage ont bien été diligentées, autrefois. Généralement classées avant même d'être bouclées, elles ne rencontraient pas les préoccupations de la municipalité, qui trouve intérêt à percevoir les impôts de cent vingt et quelques administrés inattendus. Dans les registres nationaux, la maison sans porte est recensée parfois comme un home, parfois comme un monastère, ce qui la rend invisible à peu de frais. Il arrive que des inconnus à l'apparence de voyageurs de commerce se présentent sur la terrasse, et tirent la chevillette. Monsieur, ou Madame, leur souhaite alors la bienvenue chez eux, et je suis sûr que l'accueil qui leur est fait est chaleureux. Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander de quoi cette maison est la porte. Une interview de Pascal Blondiau dans l’émission Le Septième du 23 février sur la chaîne de télévision belge ACTV. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir à son sujet. Ou pas. L'émission originale se trouve ici
(ça commence vers la 23è minute - et ça dure 20 minutes quand même) |
Pascal Blondiauest né en 1965. En textes très courts, l'oreille collée entre l'arbre et l'écorce, il tente de rendre la basse continue, l'ostinato sous la vie. Une novelette,c'est un jeu, une contrainte créative : une novelette c’est une histoire au format carte postale.
C’est un instant figé, une histoire saisie au millimètre, à la seconde - mais dont les aboutissements, la logique cruauté, l’absence de morale ou la poésie accompagnent le lecteur pendant des heures. Qu’il le veuille ou non. |