Cristal. |
Cristal à l’âge de voir. Elle s’appelle Christine, mais Christine ça cristille, alors elle dit ; « Cristal ».
Elle se compare à la loupe, avec une lentille qui fait trente fois son âge, ses quatre ans magnifiés dans le reflet des adultes. Elle se pare, habille ses épaules de roches et ses doigts de cailloux lumineux. Elle se transpare et, pour jouer, frôle les genoux de sa mère -qui fait semblant de ne pas l’avoir vue… |
La Ruelle des Froids Enfants.Ainsi appelée à cause de deux murs de gris moellons ; d’un côté le tribunal, de l’autre, la prison.
On y faisait passer les enfants turbulents, les soirs hallucinés des nuits d’hiver sans lune, pour qu’ils se tiennent éloignés de l’un et de l’autre. La boue qu’ils piétinaient avait l’amertume de leur honte bue et de leur peur vomie - et l’amour qu’on leur portait après, comme d’un essuie chaud on enveloppe le nageur exténué, n’en détachait pourtant plus l’odeur |
Blandine Longre, juin 2004
En littérature, il n’est pas toujours besoin de longs discours pour convaincre ou émerveiller : la parcimonie audacieuse de ces novelettes en témoigne. Sept récits dont la brièveté incite le lecteur à savourer chaque mot, à goûter frugalement à chaque assemblage d’images poétiques. Ces évocations sont parfois tirées du quotidien (L’acrobate, La Vitupère), peuvent se faire poignantes (comme dans Point du jour, où l’auteur déroule une phrase unique) ou bien se gorgent de mélancolie (La ruelle des froids enfants) et de cruauté (Toussa).
Confronté à de tels textes, le lecteur se doit de les lire et de les relire de façon à ce que chaque relecture permette d’en savoir un peu plus, de découvrir ce qui lui avait d’abord échappé et d’apprécier chaque invention langagière, chaque virgule ou saut de ligne… Ces fragments d’histoires, sans début ni fin, sont de précieux instantanés qui ne nous laissent pas sur notre faim, et poussent à la rêverie, nourrissant notre imaginaire.
Point du Jour

A l'heure où l'on croit le jour perdu, cette heure fugace où les couleurs nous quittent dans le soir monochrome - quand le passeur de silences débouche dans une vallée dont le soleil, absent ailleurs, habite toujours la pente déclive - je reviens un instant sur le cours de ma vie pour m'apercevoir que la lumière, déjà basse sous la ligne de flottaison, éclaire les feuilles par-dessous aussi.
Vincent Tholomé, 08/06/2016
En humaine compagnie
La Nuit porte deux valises.
Dans sa main gauche, la poignée de l’aurore, et dans la droite, la lanière des crépuscules.
À taille, dans une bourse de cuir qu’un lacet délie, les aubes.
J’en détaillerai certaines.
Pascal Blondiau est un auteur rare. Distille de temps à autre un recueil ou un livre minuscule. Ses textes sont des bonbons faits maison, patiemment polis et agencés. Dans ces sept et courtes novelettes, Blondiau passe sous sa loupe un détail tout petit : la manière dont une effeuilleuse ramasse ses nippes après son show, la raison pour laquelle un petit s’appelle Toussa, la façon dont Adeline estropie le mot « vipère ». Chaque texte doit faire, à vue de nez, entre cent et cent cinquante mots. Deux cents à tout casser. Deux cents mots maximum pour de petites perles fichtrement bien troussées ! Aurait-on aimé en savoir plus ? Passer plus de temps auprès de cette humaine compagnie ? Ou bien Blondiau aurait-il pu nous donner plus de sept novelettes, écrire un plus fort volume où il nous aurait dressé le portrait de toute une foule de gens qui pourraient être nos voisins ?
Pas sûr.
Les novelettes sont des textes minuscules. Les faire proliférer ne nous aurait rien apporté. Le projet de Blondiau n’est pas d’être « exhaustif ». Il nous donne le goût. La saveur sucrée des choses et des êtres. Cela suffit à faire un livre parfait. Comme ces poupées miniatures, sud-américaines et colorées, qu’on range dans une toute petite boîte d’allumettes.
Vincent Tholomé
in "Le Carnet et les Instants", revue officielle de la Promotion des Lettres Belges de Langue Française, émanation de la FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles)
L'Acrobate.
Elle a fixé sa plaque en laiton à l'aide de deux vis anti-vol, avec son nom et sa profession. Elle a passé un coup de balai, mis son petit tailleur bleu et arrangé les plantes vertes dans l'entrée. Elle a disposé les revues dans un désordre apparent. Elle est allée chercher son papier à en-tête chez l'imprimeur - deux mille exemplaires, et quelques centaines d'enveloppes.
Elle décalotte son plus beau stylo et écrit cher client virgule |
L'Effeuilleuse.Elle distille d'alanguies troubleurs de ses atermoiements moirés.
En elle toutes les courbes, juste assez de muscle pour que la chair ne tremble, juste assez d'esprit pour que le sentiment s'émeuve. Mais qu'à la fin de son numéro elle ramasse ses nippes sans grâce, elle n'est plus qu'une immédiate lingère. |
Michel Voiturier, février 2004
Il semble que les histoires courtes commencent à avoir la cote en francophonie. Jadis, elles étaient surtout anglo-saxonnes. Mais il y a eu Sternberg, Malinconi, Balthazar, Topor et quelques autres et puis, toute une collection, aux éd. du Grand Miroir à Bruxelles.
Pascal Blondiau (Braine le Comte) en propose sept particulièrement brèves dans un livre qui tient au creux de la main. Quatre ont trait à l’enfance. Une est à propos de la tendre jeunesse et la concordance poétique avec un prénom. Une autre explique le choix d’un prénom dans le Zaïre d’après Mobutu. Une autre exhalte l’inventivité langagière des bambins face à la stupidité des adultes. La dernière invite à méditer au sujet de l’humiliation des petits.
le trio restant portraiture une strip-teaseuse, esquisse l’espérance d’une indépendante en gestation d’entreprise, médite sur la fugacité du temps. Toutes sont données à lire avec un arrière plan de non-dit, d’impression de récit en suspens dont l’écho reste en l’esprit du lecteur et l’interpelle.
On y retrouve la présence de notre monde plutôt cruel. On y décèle les difficultés à affronter. Et ce, dans un style plutôt nu, décapé dirait-on, dont l’effet est d’autant plus fort qu’il se garde bien d’expliquer et de juger.
Toussa
Marie-Adrénaline a eu un fils. Elle qui s'appelait Okanda M'ba Wa sous Mobutu, elle dit : "Mon fils se nomme Toussa."
Elle regarde le sol en terre battue de sa cuisine - salle à manger - salle de bains, ignore Justin et Désiré qui dansent de rivalité dans le soleil pour ses faveurs cette nuit, et serre très fort dans sa main quelques milliards de zaïres. Un enfant c'est tout ça
Elle regarde le sol en terre battue de sa cuisine - salle à manger - salle de bains, ignore Justin et Désiré qui dansent de rivalité dans le soleil pour ses faveurs cette nuit, et serre très fort dans sa main quelques milliards de zaïres. Un enfant c'est tout ça
Un tout petit recueil de toutes petites nouvelles, des « novelettes » comme l’auteur les nomme, un véritable cadeau de Noël, de Noël « nouvelet ». Ce doux cantique de Noël pourrait justement s’appliquer à cet élixir de texte distillé à l’alambic des Carnets du dessert de lune :
« Quand je le vis, mon cœur fut réjoui,
Car grand beauté resplendissait en lui,
Comme au soleil qui luit au matinet. »
Ces textes sont d’une grande virtuosité, avec quelques mots seulement l’auteur respecte les canons de la nouvelle : une histoire, une unité dans l’histoire, une chute… et propose un moment de vie que le lecteur n’a plus qu’à mettre en scène. Comment ne pas imaginer la vulgarité du spectacle offert par cette effeuilleuse toute en courbe qui «… à la fin de son numéro … ramasse ses nippes sans grâce, elle n’est plus qu’une immédiate lingère » ? Comment ne pas imaginer l’histoire de Toussa quand on sait les milliards de zaïres dans la main de sa mère ? Il y en a sept toutes aussi denses, un peu amères, l’auteur regarde ce qu’il ya de l’autre côté du miroir.
Sept « novelettes » et un énigmatique « et quelque » qui pourrait-être ces deux bouts de texte placés aux deux extrémités du recueil. Celui qui clôt l’opuscule est révélateur de la pointe d’amertume qui assaisonne le recueil :
« Je cherche
A vivre en humaine compagnie
En souffrant l’invisible handicap
D’être moi aussi
Humain ».
Blondiau appartient bien à la gente des virtuoses du verbe qui exécutent leur numéro comme le gymnaste son acrobatie sur l’agrès.
Denis Billamboz
La vitupère
Adeline sait que les serpents sont fréquents dans la région, et à cette époque de l'année. Elle crie en se tenant la jambe. Pas une trace de morsure dans sa peau fraîche - pourtant elle pleurniche : Une vitupère, une vitupère !! En quelques semaines, le vocabulaire d'Adeline sélargit en vulgarité et, s'il est vrai quelle ne connaît pas la signification des mots qu'elle profère, son innocence n'édulcore pas ses attaques. Ce n'est quand même pas à l'école que tu apprends tout ça ! tonne son père. Qui est loin, bien sûr, de soupçonner l'horrible vérité. |